Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
inédit, 2008
28 pages
PERSONNAGES :
la pièce peut être jouée à partir de trois interprètes, jusqu’à une distribution chorale
Soutiens à l’écriture
pièce écrite dans le cadre d’une commande d’écriture et de mise en scène du comité des M.J.C. de Lyon, à l’occasion de leurs cinquante ans

« J’aimerais terminer sur un message d’espoir. Je n’en ai pas. En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ? » écrivait Woody Allen dans Destins tordus. Ce pourrait être l’incipit de la pièce.
À la croisée du chant et du théâtre, un chœur interroge notre rapport au monde, nos résignations et nos velléités d’actions. Peut-on changer le monde ? Peut-on simplement le comprendre ? À quelles distances des frontières d’Utopie, faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
Pensée comme une œuvre matériau, la pièce offre à ses interprètes un terrain d’expérimentation collective. Le jeu comme ultime possibilité d’utopie. Et le réel qui résiste toujours.

mise en scène Simon Grangeat
(c) Christophe Daviau

mise en scène Simon Grangeat
(c) Christophe Daviau

mise en scène Simon Grangeat
(c) Christophe Daviau
extrait
Dans l’obscurité la plus totale au départ. On apercevra au fur et à mesure trois silhouettes.
– Tu es là ?
– Là. Tu es là ?
– Là.
– OK.
– Premier chant. L’étendue de la question.
– Dans le fouillis des villes. Lignes bataillant vers le ciel. Lancées verticales des immeubles – barres – des tours. Dans le fouillis des villes. Enchevêtrement confus. Impasses nauséeuses encombrées de déchets. Dans le fouillis des villes. Abrité par le halo fragile d’un lampadaire / au contraire exposé à l’obscurité la plus totale. Dans le fouillis des villes, l’homme isolé se demande. Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
– À l’autre bout du monde, un paysan desséché contemple les yeux vides sa terre craquelée marquant une année de disette. Derrière lui, accroupie, sa fille chante et son chant enfle et emplirait d’espoir les ventres creux. Pris entre les deux chant/champs, l’homme traversé se demande.
– Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
– Un gamin franchit clandestin la frontière des nantis. Il sera expulsé. Très bientôt. Il le sait. Mais l’argent que les riches lui fourreront dans la bouche pour qu’il se taise et joue si bien son rôle remplacera à lui seul plusieurs mois de travail. Là-bas. Où il n’y a rien. Et cette pensée le malmène quand il marche en baskets dans une neige lourde.
– Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
– À l’autre bout du monde, une marée populaire consacre un indigène alors que depuis l’aube les blancs tenaient la bride. Et dans la foule en liesse envahissant les rues, au milieu des fanfares, entre deux libertad, dans l’espace de la danse, grossit de bouche en bouche cette question inquiète. Puisque cette fois-ci nous avons le pouvoir, pouvons enfin agir.
– Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
l’écriture
Les circonstances de l’écriture m’ont confronté à des acteurs d’une éducation populaire perdue entre demande d’animation, divertissement, mise en concurrence, appels à projets et quête de sens. Cela fut laborieux, passablement décourageant et politiquement déprimant. Cela m’a aussi mis en colère. Aujourd’hui, je comprends mieux comment cette situation n’était que l’aboutissement d’un très long pourrissement, d’une dégradation constante des idéaux, des structures, et par là, des pensées. Alors que l’eau chauffait doucement depuis des dizaines d’années, je plongeais, moi, directement dans les bouillons d’une fin du processus.
L’écriture de Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ? est une tentative pour remettre du sens, quand je n’en percevais plus. Là où je ne voyais que résignation, j’ai tenté d’opposer un geste poétique radical, une expérimentation scénique qui déjouerait les pièges de l’animation ou de la célébration.
Nous n’avons jamais tiré le bilan commun de cette aventure. Pour ma part, j’étais entré en écriture.


