Un caillou dans la botte
inédit, 2011-2021
35 pages
PERSONNAGES :
2 femmes
2 hommes
7 enfants
la pièce peut être jouée par un comédien aussi bien que par un groupe nombreux
Prix et sélections
sélectionnée par le comité de lecture jeunesse des EAT, 2012

L’ogre entre en scène. Pour la première fois, il ose prendre la parole publiquement.
Il veut raconter son histoire, dire sa vérité. Parce que depuis des temps immémoriaux, nous croyons tous savoir ce qui s’est passé cette nuit-là dans la maison, au milieu de la forêt ; mais tous, nous n’avons entendu que le point de vue adverse. Nous ne connaissons véritablement que l’histoire de son bourreau, celui qui causa son déshonneur, sa ruine, sa perte.
Un caillou dans la botte change le point de vue initial du Petit Poucet et adopte le regard de l’ogre, ainsi qu’un peu de sa mauvaise foi.

mise en scène Clément Arnaud

mise en scène Clément Arnaud

mise en scène Clément Arnaud
extrait
Dans la cuisine des Poucet.
Papa. – Zéro commande. Tous les jours, c’est la même chose : zéro commande.
Maman. – Comment qu’on va faire ?
Papa. – Je passe mon temps à attendre le travail et rien. Silence.
Maman. – Les petits avaient faim ce soir.
Papa. – Saleté d’époque ! Saleté de pétrole ! Saleté de commerce mondialisé de mondialisation de mes deux ! Saletés de Chinois ! Saletés d’Indiens ! Saletés d’Américains ! Saletés de Brésiliens ! Saletés de /
La sonnerie du téléphone retentit.
Le téléphone ?! Maman, le téléphone sonne !
Maman. – Pourquoi tu décroches pas ?!
Sonnerie.
Papa. – Attends !
Maman. – Mais qu’est-ce que tu fais ?
Sonnerie.
Papa. – Trois.
Maman. – Mais il faut qu’il décroche, sinon ça va raccrocher !
Sonnerie.
Papa. – Laisse-moi faire. Le commerce, ça me connaît.
Sonnerie.
Cinq. Il faut pas leur laisser croire que je poireaute dans mon bureau à attendre le client, sinon, ils se font des idées et on peut plus rien négocier… Maintenant, c’est bon.
Papa décroche.
l’écriture
Un caillou dans la botte est le premier texte que j’écris en sachant que je ne le mettrai pas en scène. C’est mon « premier texte » en tant que jeune écrivain. À cette époque, je fais encore partie du collectif Traversant 3, que j’ai cofondé dix ans plus tôt avec des amis de fac – Yonnel Perrier, Clément Arnaud, Marion Lainé, Lucas Goy…
Au début de l’aventure, il y a une création qui se dessine et mon envie de faire partie du jeu à une autre place que celle que j’occupais jusque-là. Une place à l’écriture. Ce Caillou naît donc encore extrêmement teinté d’une aventure collective de dix ans : avec un projet de spectacle très avancé ; avec un canevas quasiment pensé par le plateau et l’envie d’y ajouter mes mots, de faire dialoguer des personnages inventés par d’autres (L’Ogre s’appelle alors Nikolaï Ogrousky, sa femme est une mégère marseillaise, etc.) ; avec des discussions permanentes entre nous sur les fondamentaux du projet.
Le texte qui se crée en 2011 et qui tourne pendant de nombreuses années n’a presque rien à voir avec celui que je fais circuler aujourd’hui. Entre les deux versions, dix années sont passées. Le temps pour moi d’affirmer quelque chose de mon écriture. Le temps aussi de libérer la pièce du projet de création, pour laisser se développer les scènes, les personnages et les intentions, par delà les discours pré-existants d’une mise en scène.
Autour de la pièce
Plus radicalement, c’est l’Ogre lui-même, que met en scène Simon Grangeat dans Un caillou dans la botte (2011), en la personne de Nikolaï Ogrovsky, qui « pour la première fois, prend la parole publiquement » pour « raconter son histoire, dire sa vérité », à la manière d’une enquête policière ou d’un procès criminel. Ce spectacle d’ombres mêlé de marionnettes, de maquettes, d’objets, « change le point de vue initial du conte et adopte, pour une fois, le regard de l’Ogre, ainsi qu’un peu de sa mauvaise foi ». Autrement dit, l’Ogre est présenté sous la forme d’un « brave carnivore, certes légèrement cannibale », « volé, dupé, ruiné, et ce en une seule nuit, par un misérable rejeton ». Dès la scène d’ouverture, le récitant, sous les traits duquel transparaît l’Ogre, prétend apporter un démenti public aux allégations frauduleuses du conte et en propose le travestissement burlesque. Le récitant intervient ensuite de façon récurrente en appui de l’action des parents, qu’il compare à « des vraies crapules, des vauriens, des moi-moi égoïstes ». Il en propose un commentaire décalé, tout en filant la métaphore de la dévoration : « Pensez de moi ce qui vous chante, mais le mensonge, jamais. Faire des choses pareilles à ses propres enfants, la chair de sa chair, le sang de son sang ! Le sang… »
Martial Poirson
Les Enfants de Poucet : Avatars du conte dans le théâtre francophone contemporain (1989-2012)


